Yoga & politique
Bonjour bonjour,
Aujourd'hui, j'ai le plaisir de mettre sur papier (ou plutôt écran) quelques pensées qui mûrissent dans ma tête depuis un moment.
Peut on parler politique / engagements pendant un cours de yoga?
Si je me pose la question, c'est que, récemment, plusieur.e.s élève / ami.e.s ont mentionné le sujet, m'expliquant parfois à quel point ils.elles n'appréciaient pas qu'on parle politique dans un cours de yoga.
Quand je dis "politique", ça va d'une mention sur la consommation avant le "black friday" à une remarque sur la perception des femmes en début de cours. Ce ne sont pas non plus des appels à rejoindre des manifestations de black blocs ou à aller s'enchaîner les bras devant une centrale nucléaire.
En même temps, et ce n'est pas un secret, je suis de plus en plus engagée et politisée sur pas mal de sujets comme les droits des être humains ou certaines problématiques féministes. Je m'engage aussi publiquement avec la fantastique "Yoga and Sports for refugees" et comme nous organisons une formation d'enseignant.e.s de yoga ensemble, la frontière entre travail et engagements personnels s'est considérablement amincie.
Plus subtilement, je fais de mes cours des espaces les plus inclusifs possibles, par mon vocabulaire et beaucoup de détails plus discrets.
Après, je choisis souvent de ne pas parler de tout ça en cours, et je garde mes engagements plus forts pour les réseaux sociaux. A chaque post que je fais, je me demande si c'est approprié, et j'y réfléchi toujours pour pendre une décision consciente.
La différence, bien sûr, c'est que, si une personne n'apprécie pas de lire mes sujets d'interêt sur les réseaux sociaux, il.elle peut toujours choisir de ne pas le faire. Se boucher les oreilles pendant un cours est un peu plus compliqué.
Je comprends très bien aussi que, après une journée de travail, déjà bien assomé.e par les débats ambiants, peu de gens ont l'envie brûlante de se taper un résumé de l'actualité pendant un cours de Yin.
Aller à un cours de yoga est un moment privilégié, parfois une vraie bulle d'air, et il est bien naturel de ne pas avoir envie de se faire emmerder par des considérations pénibles.
Certes.
Pourquoi alors ai-je cette intime conviction que yoga et politique se marient très bien?
Je suppose qu'on est bien tou.te.s d'accord que le yoga, ce n'est pas que des asanas, et c'est pas uniquement sur le tapis, hein?
Alors souvent, on veut bien sortir le yoga du contexte de notre tapis quand c'est pour faire de nous des êtres souriant.e.s, plus calmes, imbibé.e.s de contentement (santosa), de non violence (ahimsa), ancré.e.s dans le moment présent....
On est fière de réaliser que on devient peut être un peu plus patient.e dans la queue à la poste, qu'on arrive à respirer dans un moment d'angoisse au lieu de s'enfiler trois shots de vodka, ou qu'on mange moins de viande la semaine. On médite régulièrement en inspirant l'amour et en expirant l'injustice.
On part même du principe que la lumière douce et bienveillante qui émane de notre coeur grand ouvert va petit à petit envelopper nos voisin.e.s et notre entourage pour les baigner de chaleur puis, eux aussi, les rendre plus doux.ses et bienveillant.e.s.
Comme on le dit si bien, si tu veux changer le monde, commence par te changer toi-même.
Ouais, bof.
Alors oui, c'est cool de "devenir la meilleure version de nous-même", c'est mieux que d'être un.e sal.e con.ne condescendant.e (comme moi maintenant). Mais ça sert à quoi? On en fait quoi de tout ça??
Pourquoi le yoga risque de nous politiser.
Je suis intimement persuadée que le yoga risque de nous politiser, de nous rendre un peu plus sensible à ce qu'il se passe autour de nous. En effet, on a des trucs au yoga qu'on appelle les yamas et les niyamas. Ce sont des angas, des membres. On dit parfois d'eux qu'ils sont des piliers de la pratique mais, personnellement, j'aime les voir comme des conséquences de la pratique. Les yamas sont des attributs de nos rapports avec le monde, et les niyamas des qualités vis à vis de nous-même.
Un de ces niyama se nomme svadhyaya, qu'on interprète souvent comme "la connaissance de soi".
Le yoga nous amène à la connaissance de nous-même. Pendant la pratique, on observe nos sensations, nos pensées, nos émotions.
Mais aussi, c'est la pratique d'observer nos biais, nos croyances, de déconstruire les filtres qui déforment notre perception. Alors évidement, quand on commence à observer nos biais, on va peut être réaliser que un grand nombre d'entre eux nous ont été fourrés dans la gorge par la société, non?
C'est une opinion très personnelle, mais il me parait difficile de gratouiller dans nos fantasmes et certitudes pour nous libérer de nos couches de préjugés et d'automatismes sans, à un moment, se confronter au racisme, au patriarcat, et autres biais sociétaux.
Non?
Alors, dans un cours de yoga, certains sujets sont peut être plus bienvenus que d'autres. Par exemple, l'écologie, la remise en question de la société de consommation, manger et acheter avec conscience sont des sujets de discussion relativement bien acceptés. Toucher à d'autres sujets comme les inégalités ou les mouvements sociaux est un peu plus délicat.
Mais la prochaine fois que votre enseignant.e partage quelque chose d'un peu plus polémique, pourquoi ne pas écouter et laisser infuser tout ça, comme le reste?
Et de notre coté à nous, enseignant.e.s, il est important de nous poser certaines questions aussi, et en voici quelques pistes, un peu en vrac:
Est ce que mes cours et mes ateliers sont des espaces de mixité?
Quelles sont les populations qui viennent en cours de yoga et puis-je la diversifier?
Dans un monde où la parole se libère, comment puis-je accompagner ces changements et faire de mes cours un espace sain?
Alors que de nombreux scandales d'abus de pouvoir et de consentement éclatent dans le monde du yoga et de la méditation, quelles leçons et actions puis-je en tirer?
Est ce que je me réfugie dans le matérialisme spirituel?
Dans ce monde toujours changeant et pas toujours réjouissant auquel le yoga nous rappelle que nous appartenons, il est peut être temps pour nous, yogi.ni.s, de quitter le cocon de notre studio au délicieux fumet d'encens, de temps en temps.
Et, une fois sorti.e de notre grotte, immergeons-nous complètement dans le monde et allons, avec irrévérence, nous engager pour des choses justes.
Allez, des bisous!
Claire